"Le lieu était encombré de policiers, une lumière de théâtre émanant de derrière la foule formée par ces derniers. Les quatre curieux se faufilèrent à travers les interstices de ce mur bleuté étoilé, qui entourait un large espace dégagé. Au centre était allongé, dos au bitume, un homme aux habits grisâtres, un long manteau sur le dos. Sa peau était d'un vert translucide, le visage fermé, apaisé, les cheveux sombres se fondant dans un filet de sang. La surprise de sa couleur de peau passée, se dessinaient les traits d'un visage exotique, presque archaïque, et apparaissaient aussi les détails de colliers et bijoux aux matériaux primitifs et significations obscures ornant discrètement le cadavre, qu'il devait certainement cacher de son vivant sous son long manteau. La lumière semblait émaner de son corps, mais il y avait aussi bel et bien un halo lumineux, semblable à une poursuite de scène de cabaret. Celle-ci était fixée sur un cowboy aux couleurs criardes debout devant le cadavre, un revolver à la main. N'avait-il pas les traits difformes d'un Elvis Presley mé-bien-connu ?
Andy : « Oh ! Il me dit quelque chose... »
C'est alors que Toungouze crut reconnaitre dans cette foule un homme, assis sur un fauteuil verdâtre, la mine perdue dans de moroses pensées. La vision disparut.
« Tué d'une balle en pleine tête, quel triste sort », murmurait un policier à son collègue.
*Clak* *Clak* *Clak*
Les quatre furent apostrophés par des flashs de lumière fendant l'air.
« Yougarry, tu connais cet homme là-bas ? »
Il montrait du doigt un autre bougre, court sur pattes, vêtu d'un imper et d'un borsalino. De petites boites noires cernées de boutons et de lentilles réverbérant la lumière lui couraient autour du cou, et tranchaient la réalité d'éclairs blancs aveuglants. L'homme tournait en tout sens autour du cadavre, sa langue se déroulait dans son appareil, salivant de flashs de lumière savoureux projetés sur la scène.
« Weegee ? Hum-un des gars les plus sordides que je connaisse, pas mal de rumeurs courent sur son compte... À ce qu'il parait, il aurait dans sa voiture une ci bi branchée sur la fréquence de la police afin d'arriver avant les poulets sur les lieux d'un meurtre, mais ça, c'est quand son flair lui joue des tours ! Parait qu'y serait capable d'humer le doux fumet d'un meurtre à des kilomètres à la ronde ! Et dans l'instant !
– Doux Jésus !
– Ouais, on voit souvent son vieux tacot dévaler les rues en trombe, pilotant à tombeau ouvert, comme si la mort elle-même était à ses trousses. Paraît aussi qu'y se nourrit des âmes des macchabés qui quittent leurs corps et que s'il s'arrêtait, il en crèverait. »
Quand le curieux personnage moribond parut enfin rassasié, il sembla flairer au loin un fumet qui le fit saliver de plus belle et disparut comme une ombre dans les lumières de la ville." Conatus, 2015, Charlie Wellecam.